La gueule de bois livresque
Ce moment étrange après la dernière page
Tu connais ce sentiment lorsque tu termines une lecture et que tu as l’impression de laisser aller de bons amis ? Tu erres sans but pendant quelques temps, repensant à ce roman et te demandant comment faire pour choisir ta prochaine lecture…
Parce qu’il y a des lectures qui laissent des traces. Pas seulement dans la mémoire, mais dans le corps, dans l’esprit. Ce moment où, une fois le livre refermé, tu sens comme un léger vertige — un mélange de fatigue, de vide, et d’émotions qui tournent encore. On pourrait appeler ça la gueule de bois livresque.
Qu’est-ce que c’est, cette gueule de bois ?
Ce n’est pas une simple nostalgie.
C’est un état un peu plus profond, parfois déroutant. Tu as plongé corps et âme dans une histoire, dans la vie d’un personnage, dans un univers. Puis, brusquement, tout s’arrête. Plus rien. La dernière page tournée, tu te retrouves suspendu(e), entre le monde du livre et la réalité.
Ce moment où tu ne sais pas quoi lire ensuite. Où ton cerveau est encore en train de ruminer les images, les mots, les émotions. Parfois, tu es épuisé(e), comme après une fête trop intense.
C’est la gueule de bois livresque.
Mes souvenirs de gueule de bois livresque
Quand les mots cognent encore
Je me souviens d’avoir fini le roman Ça (It) de Stephen King un soir tard. J’étais vidé. Pas triste, pas heureux, juste… épuisé. J’ai dû prendre plusieurs jours avant de pouvoir reprendre un autre livre, de peur de briser la magie encore fragile. Comme si le livre m’avait pris quelque chose, ou peut-être qu’il m’avait tout simplement tout donné. C’est étrange ce que certains romans peuvent faire : ils t’engloutissent, te mâchent, puis te recrachent, un peu différent.
J’ai dû prendre plusieurs jours avant de pouvoir rouvrir un autre livre. Pas parce que je n’avais plus envie de lire. Non. C’était plus profond que ça. C’était comme marcher dans une pièce où quelqu’un vient de partir — l’air est encore chargé de sa présence, tu n’oses pas déranger ce silence-là. Je venais de perdre de bons amis…
Je craignais de briser la magie, cette fine pellicule d’émotion encore suspendue autour de moi. Ce moment flottant, entre deux mondes, où l’histoire n’est plus tout à fait là, mais pas encore vraiment partie non plus.
Il y a aussi cette fois où j’ai terminé la série Harry Potter. Je venais de tourner la dernière page du dernier roman, heureux d’enfin connaitre toute cette magnifique histoire, mais triste de devoir quitter ce monde merveilleux et magique… J’étais heureux, bien sûr — heureux d’avoir enfin parcouru toute cette histoire magnifique, d’avoir suivi Harry, Hermione et Ron jusqu’au bout. D’avoir vu les batailles, les pertes, les triomphes, les révélations.
Mais une part de moi était profondément triste. Triste de devoir quitter ce monde où j’avais tant voyagé, où j’avais rêvé, espéré. C’était comme dire au revoir à des amis d’enfance, ou refermer une porte sur un lieu familier, en sachant que plus rien ne sera jamais exactement pareil.
Pendant plusieurs jours, tout ce que je lisais me semblait fade. Rien ne pouvait égaler cette intensité-là, cette magie qui ne tenait pas qu’aux sorts ou aux créatures fantastiques, mais à l’émotion, à l’attachement, au sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique.
Et bien sûr, il y a cette fois où j’ai terminé Le Seigneur des Anneaux. Mon premier grand amour de lecture. Je me souviens encore du poids du dernier tome entre mes mains, de cette sensation étrange et poignante à l’approche des dernières pages. Comme si quelque chose en moi refusait d’arriver au bout.
C’était plus qu’un livre — c’était une traversée. Une épopée vécue de l’intérieur, où chaque colline de la Comté, chaque souffle de vent sur les terres du Rohan, chaque ombre qui grandissait au Mordor m’avait accompagné pendant des semaines.
Quand je suis arrivé au bout, quand les derniers mots ont résonné dans le silence de ma chambre, j’ai eu l’impression de laisser derrière moi une part de moi-même. Je n’étais plus le même lecteur qu’au départ.
J’avais grandi. Et surtout, je venais de comprendre ce que pouvait être un monde entier contenu dans des pages. Un monde si vivant qu’il te suit encore longtemps après l’avoir quitté.
C’est là que j’ai su que la lecture ne serait jamais qu’un simple passe-temps. C’était devenu une manière d’exister autrement. Et depuis, je cherche — parfois sans le savoir — à retrouver cette intensité, cette première fois, ce frisson du cœur qu’on n’oublie jamais vraiment.
Et il y a aussi ces moments où, après un thriller haletant, j’ai enchaîné sur un roman léger… et ça n’a pas marché. Je me souviens avoir tout juste refermé La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, encore étourdi par les révélations, les faux-semblants, les allers-retours entre passé et présent. J’étais rempli de tension, d’images, de dialogues qui résonnaient encore.
Et pourtant, j’ai voulu enchaîner. Comme si je pouvais tourner la page aussi facilement que dans un livre. J’ai pris un roman plus doux, plus léger. Une lecture sans meurtre ni mystère, sans procès ni manuscrit disparu. Mais chaque phrase sonnait creux. Je n’étais pas prêt.
Il me fallait du silence. Un espace mental pour digérer l’adrénaline, pour laisser redescendre l’onde de choc. Parce que certains romans s’infiltrent. Ils s’emparent de toi pour un moment. Ils t’imposent un rythme, une ambiance, une obsession. Et une fois terminés, ils laissent un vide — pas un vide triste, non, mais un vide nécessaire.
Alors maintenant, je le sais : après un roman comme ceux-là, je prends le temps. J’attends. Je relis quelques passages. Je me replonge dans mes impressions. Et je ne choisis pas la prochaine lecture à la légère. Parce que certains livres demandent qu’on les laisse résonner un peu avant d’oser passer à autre chose.
Il y a des livres comme ça. Des lectures qui ne se ferment pas complètement quand tu tournes la dernière page. Elles te suivent, s’incrustent, murmurent à l’arrière de ton esprit pendant des jours. Et parfois, il faut leur laisser cet espace, ce deuil étrange de personnages qu’on ne reverra plus.
On dit souvent que certaines histoires laissent un vide. Moi, je dirais qu’elles laissent une empreinte. Une empreinte chaude, lumineuse, un peu douloureuse aussi — parce qu’elle rappelle qu’on a aimé, profondément. Et que c’est déjà beaucoup.
Comment s’en remettre ?
Vide post-lecture : mode survie activé
Il n’y a pas vraiment de recette miracle, mais voici quelques idées qui marchent souvent pour moi :
• Prendre une pause, respirer, faire autre chose (balade, musique, film).
• Lire quelque chose de léger, voire totalement différent (bande-dessinée, nouvelles).
• Écrire sur ce que tu as ressenti, comme une forme de catharsis (pratique avec mon blogue ! 😉).
• Parler avec d’autres lecteurs, échanger sur cette impression (forums de lectures, réseaux sociaux).
• Faire le ménage dans ma PàL (parcourir ma pile à lire, c’est comme flâner dans une librairie : ça ouvre les portes sans pression).
Une preuve que la lecture a fonctionné
Le plus beau des effets secondaires
Ce manque, aussi douloureux soit-il, est la preuve que j’ai aimé. C’est le prix à payer pour avoir vécu quelque chose d’intense. Et c’est ça aussi, la magie des livres : ils nous laissent souvent avec un petit cœur en miettes, mais un esprit enrichi.
Maintenant, je l’accepte cette gueule de bois livresque. Mieux : je l’accueille. Parce que si je me sens comme ça, c’est que le roman a fait mouche. Qu’il m’a touché, happé, secoué. Qu’il était exactement ce qu’il me fallait à ce moment-là.
Alors au lieu de fuir ce moment un peu flottant, j’en profite. Je laisse l’histoire résonner en moi. Et je me dis que ce genre de gueule de bois, c’est peut-être le meilleur des compliments qu’on puisse faire à un livre. C’est une belle preuve. Elle dit que le livre a compté, qu’il a déplacé quelque chose en moi. Ce vide après la tempête, c’est aussi un espace pour grandir.
Alors, la prochaine fois que tu te sentiras un peu sonné(e) après un livre, accueille cette sensation. C’est ta façon à toi de voyager encore, un peu plus longtemps.
Parce que ce qui peut sembler déprimant au premier abord peut aussi, avec le temps, devenir de sacrés bons souvenirs !





